Ce commentaire de la haftarah est dédiée à la mémoire de mon père Hayim Barouh ben Alexander Liebermann, seul de notre famille, à être rescapé de la Shoah, témoin lucide de son temps qui nous a enseignés, à ma mère, mon frère et ma sœur comment regarder et agir dans ce monde avec équité, bonté et harmonie. Puisse-t-il, avec la brillance de son esprit, reposer auprès de nos ancêtres, dans le monde de Vérité. Barouh dayan haèmet.
Il existe de nombreux parallèles entre le récit de l’ascension de Joseph, le héros de Parachat Miketz, et le roi Salomon, c’est le sujet de la Haftarah. Tous deux occupent des postes gouvernementaux importants, Joseph en tant que vice-roi du pharaon égyptien et Salomon en tant que roi d’Israël. Et les deux reçoivent un pouvoir immense – et une sagesse immense – à travers les rêves. La Haftarah s’ouvre avec les mots «Tout n’était qu’un rêve!» Cette ligne fait référence à la scène qui la précède immédiatement, dans laquelle l’Eternel propose d’exaucer tout souhait que Salomon demande. Sans hésitation, Salomon répond qu’il veut acquérir la sagesse, et l’Eternel accède à sa demande. Lorsque Salomon se réveille, il prépare immédiatement une offrande et un sacrifie pour l’Eternel.
Peu de temps après, deux prostituées se présentent devant Salomon avec une affaire perplexe. Toutes deux avaient récemment accouché et l’une des deux femmes avait par erreur étouffé son enfant pendant son sommeil, le tuant ainsi. L’autre femme l’a accusée d’avoir volé son propre bébé et de l’avoir remplacé par l’enfant mort. La première femme accusa la seconde d’avoir fait de même. Chacune présente son histoire à Salomon, qui contemple l’affaire et demande ensuite à ses assistants de lui apporter une épée. Il leur ordonne de couper l’enfant vivant en deux et de présenter un morceau à chaque mère. Une femme crie au roi, lui disant de ne pas tuer l’enfant; «Donnez-lui [l’autre femme] l’enfant vivant; quoi que vous fassiez, ne le tuez pas!» (I Rois 3:26). L’autre femme resta indifférente: «Non, ce ne sera ni la tienne ni la mienne; coupez-le en deux» (I Rois 3:26). Salomon, bien sûr, voit à travers le mensonge à la fois. «En aucun cas, ne tuez l’enfant», dit-il à ses assistants, «Donnez-le à la première femme – c’est la vraie mère» (I Rois 3:27).
La haftarah se termine avec la nation d’Israël entendant avec révérence la nouvelle de la décision du roi Salomon: «ils ont vu qu’il avait en lui la sagesse divine pour rendre justice» (I Rois 3:28). Cela a cimenté sa position parmi les tribus et, conclut l’histoire. Les gens ont tous entendu parler de la sagesse de leur nouveau roi et ont été impressionnés par sa perspicacité. «Salomon était maintenant roi de tout Israël» (I Rois 4: 1).
Il s’agit d’une haftarah qui est rarement lue, car la semaine où nous lisons Miketz dans la synagogue est presque invariablement la semaine de Hanoukka, et nous lisons la haftarah spéciale pour cette occasion. Face au problème apparemment insoluble, posé par les deux mères, le roi Salomon a appelé à une épée, annonçant son intention de diviser le bébé en deux, comme on le ferait dans une affaire monétaire parallèle. La vraie mère a cédé, acceptant de renoncer à sa demande de laisser le bébé vivre, tandis que l’autre femme, aigrie par la perte perte du sien, a convenu que c’était juste. En voyant leurs réactions, le roi pouvait désormais déclarer qui était la vraie mère et lui rendre son enfant.
L’histoire telle qu’elle est racontée (et probablement telle que la plupart des gens s’en souviennent) souligne la grande perspicacité de Salomon. Dans la perspective de 3000 ans plus tard, il convient de noter que l’astuce de Salomon ne peut fonctionner qu’une seule fois (le Talmud Makkot 23b se demande si la femme n’a peut-être pas menti de toute façon, mais avait compris l’importance de la compassion ( rahamim). Le Talmud revendique donc qu’il y eut une voix céleste qui déclara que Salomon avait raison. Nos deux célèbres exégètes Rachi et Radak mentionnent tous deux cette tradition).
Aujourd’hui, nous ne pouvons imaginer que quiconque accepte l’idée de Salomon, à la fois parce que nous avons pitié du bébé et parce que nous connaissons l’histoire. En dehors de cela, la haftarah ajoute un verset au début et à la fin (ne faisant pas partie de l’histoire elle-même, mis en évidence par des espaces dans l’écriture traditionnelle des Écritures) qui le façonnent différemment.
Regardez : Le premier verset nous dit que Salomon s’est réveillé et s’est rendu compte que «c’était» un rêve. Commencer la haftarah suppose là, comme le faisaient souvent les Sages, que l’Écriture était familière aux les juifs ordinaires. Ces personnes connaissent donc la scène précédente : l’Eternel est venu auprès de Salomon peu de temps après avoir été installé sur le trône, et lui a offert tout ce qu’il voulait. Salomon a demandé la sagesse pour juger correctement le peuple de l’Eternel, et l’Eternel, content de ne pas avoir demandé la richesse, la longue vie ou le succès militaire, lui a donné finalement les quatre.
C’est aussi une astuce qui ne fonctionne qu’une seule fois. Une fois que nous savons que demander l’option altruiste me permet d’atteindre tous les objectifs égoïstes que je désire au fond de moi, le geste perd sa valeur et il n’y a aucune raison pour que l’Eternel accorde tous les autres désirs en récompense.
Salomon se réveille, voit que c’est un rêve, retourne à Jérusalem, se tient devant l’Arche, offre des sacrifices et fait une grande fête. Pour ceux qui aiment penser que les haftarot traitent les sujets avec désinvolture, ce verset établit le lien avec la lecture de la Torah, dans laquelle Pharaon s’est réveillé et s’est rendu compte qu’il avait fait un rêve. Comme si souvent, cette vue ne nous satisfait pas, pour la simple raison que si elle était vraie, la haftarah aurait dû décrire le rêve lui-même, se terminant par ce verset, plutôt que de le commencer.
En outre, la haftarah ne se termine pas au point où le rêve de Salomon s’est avéré vrai en raison de sa sagesse manifestée publiquement. Au lieu de cela, il va ajouter, en fin de paragraphe, encore un verset, c’est le chapitre 4 :1 pour nous dire que Salomon était roi sur tout Israël (un verset si différent de ce qui a précédé qui ouvre un nouveau chapitre dans la division courante courante de l’Écriture !!!!).
L’interprétation de Radak (Rabbi David Kimchi) de la crainte et le respect qu’avaient les enfants d’Israël lorsque Salomon rendait son jugement nous aide à mieux comprendre. Radak reconnaît que leurs émotions étaient plus complexes que la simple admiration – ils ont eu peur d’agir à tort même en privé, craignant que la grande sagesse de Salomon ne s’étende jusqu’à comprendre leurs actes.
À la lumière de cette perspective, la lecture du dernier verset par Rachi et Ralbag (Gersonide, philosophe et commentateur du XIIIe siècle) résonne davantage. Ils conviennent que le verset signifie que les enfants d’Israël étaient tous satisfaits du règne de Salomon, car il avait prouvé ses qualifications pour ce poste royal.
Observons toutefois que la brillance n’est pas une bénédiction sans mélange: en réunissant les 3 approches de Radak, Rachi et Ralbag, nous pouvons comprendre le but de cette lecture, ainsi que sa relation avec la partie de la Torah. Salomon a été béni d’un éclat inégalé, dans un incident auquel nous faisons allusion mais que nous ne lisons pas. De même, le chemin de Joseph vers le pouvoir réside dans son remarquable talent pour l’interprétation des rêves, qui l’a amené à savoir comment faire face aux crises à venir pour l’Égypte et ses environs.
Il n’est pas évident, dans les deux cas, que les sociétés humaines accueilleront la personne ainsi bénie. Pharaon entend les interprétations de Joseph et ses idées pour l’avenir et décide que personne n’est mieux adapté aux tâches à accomplir; en ce qui concerne le roi Salomon, le peuple est impressionné par la sagesse de son nouveau roi, mais peut également être aussi un peu inquiet.
Les deux suggèrent donc que le talent extraordinaire n’est pas toujours facilement assimilé par ceux qui les entourent.
Le Midrache Cantique des Cantiques Rabbah 1; 10 nous aide à voir cela aussi, en s’engageant dans une comparaison approfondie de la cour de Salomon et de celle de l’Eternel. Dans notre cas, Salomon, comme l’Eternel, a pu juger avec précision et bien même qu’il n’y avait pas de témoins au moment de cette scène, ni avertissement, éléments généralement indispensable pour les tribunaux humains.
Cette lecture de la haftarah enrichit notre lecture de la Torah, au moins en expliquant la ténacité de Joseph quant à obtenir la position qu’il voulait. Nachmanide note que Joseph désirait que Pharaon le choisisse pour superviser les préparatifs face à la menace de la famine qui allait s’abattre sur le pays de Mitzrayim, et que le pharaon complimente sa stratégie comme on peut le trouver dans le rouleau de Ecclésiaste 2; 14 disant que le sage “a les yeux dans la tête”, ce qui signifie qu’il comprend et se prépare pour l’avenir. La haftarah suggère que même le faire ne garantissait pas l’accueil qu’il voulait.
Si tel est le cas, la haftarah nous alerte sur les défis que rencontrent parfois ceux dont l’excellence les éloigne trop de leur génération. Joseph a attiré l’attention où qu’il aille pour son succès, mais cela pourrait susciter une opposition. Salomon a reçu un royaume avec une base solide et une sagesse sans précédent dans l’histoire humaine. La plupart du temps, les gens appréciaient la valeur ajoutée que cela apporterait à leur pouvoir, mais Radak nous indique le revers de la médaille.
En résumé, alors que nous lisons l’histoire de Salomon retrouvant la vraie mère du bébé vivant comme étant un exemple des défis de l’éclat de la sagesse même, accordée par l’Eternel ; tout le monde peut être amener à le reconnaître, toutefois il n’est pas toujours facile d’amener les autres à l’accepter, de suivre la personne brillante dans la direction qu’il (ou elle) mène.
Rabbi Michel Liebermann