Alors que le virus est dans la Cité et dans le monde, je vous propose d’ouvrir la porte ! Pas celle du domicile, car actuellement, confinés que nous sommes à cause du corona-virus, ce serait un danger ! J’entends une autre porte, une porte à l’intérieur de nous-même : afin de retrouver ce dialogue intérieur, celui avec notre moi-profond, avec notre nechama. Certains d’entre-nous ont récemment, suite au fléau qui s’abat autour de nous, perdus des êtres chers, d’autres sont sous surveillance, attendent, doutent. Pour tous et toutes nous exprimons notre sympathie et apportons le réconfort, bien que cela soit très difficile.
Je voudrais regarder le présent d’une autre façon, chercher, comme beaucoup d’autres, des signes. Il y a une semaine, à l’orée du nouveau mois de nissan, dans le calendrier juif, j’avais l’impression qu’il y avait comme une porte à pousser, dans ce temps confus avec toutes les infos contradictoires concernant ce fléau. Et sans doute n’y a-t-il pas d’impression plus légitime. Dans la tradition juive on s’aperçoit que le déroulement des mois n’est pas simplement une manière commode de mesurer le temps qui passe, ni le fait de mettre des croix dans le calendrier. Pour nous le temps n’est pas un tapis roulant que l’on branche chez soi à la maison pour faire un footing, c’est d’abord et avant tout une route, un cheminement, une avancée que je qualifie de spirituelle, tout en étant sociale et solidaire. Alors que nous sommes « confinés » physiquement, corona-virus oblige, d’autres options se présentent devant nous. L’entrée dans la route vers Pessah, c’est une nouvelle période qui, de ce fait, représente pour tout le peuple un événement qui, par nature, change les perspectives. Tout se passe comme si l’on allait d’un lieu magnifique à un lieu encore plus éclatant dont la splendeur, fondamentalement différente de celle du précédent, n’en est pas moins profondément bouleversante. Ainsi sommes-nous allés du mois de Adar, avec la fête de Pourim à celui de Nissan, nous rappelant les joies d’une délivrance physique qui s’est déroulée il y a 23 siècles dans l’Iran de l’époque avec le couple Esther et Mordechay et l’autre délivrance, il y a près de 3000 ans, émerge avec Moïse, caractérisant le bourgeonnement et la naissance du peuple hébreu : BNE ISRAEL, les enfants d’Israël. En effelt, l’uverture du mois révèle un horizon nouveau. Certes, Nissan est le temps de Pessa’h et la perspective de la liberté naissante – sortie d’Egypte oblige – cela emplit déjà notre conscience. Cela seul suffirait à expliquer la grandeur particulière de la période. Cependant, si on se limitait à de telles considérations, le risque existerait que cette liberté-là ne soit bien vite plus que la trace d’un souvenir historique précieux, que nous commentons et racontons lors de la soirée du Séder. Or, la liberté ne peut se limiter à la mémoire. Pour être réelle, elle doit rester vivante.
Pour trouver son expression en notre temps, elle doit d’abord apparaître en chacun d’entre-nous. Quel défi ! Comment vivre libre dans un monde matériel aux contraintes étroites ? (Je rappelle que le terme Mitsrayim, traduit par Egypte, a comme racine , en hébreu le terme Metsar, signifiant étroitesse. Le mot en yiddish qui vient à la bouche de ce vieux hassid dans ma ville natale : « hot emouno » ayez confiance !!!!
La Matsa, pain non levé, symbole par excellence de la soirée de Pessah, synthétise, à elle seule, tous les contraires : elle est à la fois le pain pauvre, le pain de pauvreté que nos ancêtres ont mangé en Egypte et le pain de liberté qui n’a pas eu le temps de lever au moment où les Enfants d’Israël ont quitté l’Egypte.. A coup sûr, la Emounah est un sentiment doux et très plaisant, mais il en est ainsi parce qu’il apaise la faim de notre âme. En soi, la Emounah ne contient ni “du miel”, ni “du vin ou de l’huile”. Les “ingrédients” de base de la Emounah sont l’humilité et la soumission. L’humilité résulte de la conscience que nous prenons de notre “néant” ; nous-mêmes ne sommes rien, nous ne possédons rien en propre. Ce que nous sommes, ce que nous avons, tout nous vient de l’Eternel. Quant à la «soumission»,(qabalat ol malh’out chamayim) elle naît de la conscience que nous avons de notre insuffisance intellectuelle au regard de la sagesse infinie de notre Créateur (Maimonide).
Nous pouvons voir maintenant comment la Emounah est la contrepartie spirituelle de la Matzah : de même que celle-ci est un aliment physique, la Emounah, elle, est un aliment spirituel.
Le seul but de la libération du joug égyptien était la réception de la Thora au Mont Sinaï ; nous cessions de servir Pharaon (la force) afin de servir l’Eternel (la Loi). L’Eternel le déclara clairement à Moïse quand, du buisson ardent, Il lui parla : “Quand tu auras fait sortir d’Egypte le peuple, vous servirez Dieu sur cette montagne” (Exode, 3:12). C’est le message que Moïse apporta à Pharaon au nom de l’Eternel à plusieurs reprises : “Libère Mon peuple afin qu’il puisse Me servir”.
Dans le but de graver cela dans l’esprit des Enfants d’Israël et de leur enseigner le premier pas dans le service Divin, il leur fut commandé de manger la Matzah la veille de leur Libération du joug égyptien. Car la Matzah, est le symbole de la Emouna, “le pain de la confiance”. Graver en hébreu se dit ‘harot, et liberté se dit ‘hérout. La liberté se trouve dans le cadre gravé des Tables de la Loi, de la Thora.
Comment vivre dans ce monde en portant sa liberté en bandoulière sans souci du regard de ceux que la différence dérange ? Le mois de Nissan apporte une réponse essentielle à ces questions : c’est en chacun de nous que la liberté commence et c’est par l’action de tous qu’elle peut et doit s’épanouir, c’est le rêve du grand rassemblement communautaire, où chacun reconnaîtra l’autre comme étant son frère et sa soeur. Oui, nous étions tous en Mitsrayim. Oui, nous étions au Sinaï et avons entendu le message !
La Libération n’est plus une espérance, elle est le résultat concret de nos efforts. Nous sommes capables de la construire pour nous, pour nos enfants et pour les générations à venir, tout comme nous l’ont transmis nos ancêtres et, de cette façon, de la proposer au monde. Car qu’est-ce que la liberté de tous sinon la somme des libertés de chacun ? Dès lors, l’enjeu est d’importance. Le rêve éternel de liberté est à notre portée, dans sa forme la plus pure. Par lui, les obstacles disparaissent. Ouvrons donc cette porte intérieur, sans crainte et sans peur et sachons faire apparaître ce bien le plus précieux, fruit de notre quête et de nos actions. Oui, avec émouna sachons aller de libération en libération jusqu’à celle des temps messianiques pour Israël et les Nations.
Rabbi Michel Liebermann