Il y a une absurdité presque absolue dans ce chabbat à venir – appelé chabbat Na’hamou.( le chabbat de la consolation). Mercredi soir, nous étions assis, comme des endeuillés, à même le sol, dans nos demeures et dans nos synagogues à penser avec tristesset à ce que rappelle le deuil de Tisha Beav en pleurant la perte du Temple à Jérusalem, à pleurer la naissance des Exils et à nous lamenter en nous nous souvenant des tragédies qui se sont déroulées au cours des 2000 dernières années. Pourtant, lors de ce chabbat qui vient, il y aura une humeur complètement différente. C’est Na’hamou, le temps des consolations prodiguées par le géant des prophètes, Jérémie, et avec ce contenu, nous sommes optimistes. C’est Na’hamou et nous sommes pleins d’espoir. C’est Na’hamou et nous sommes reprenons maintenant les fêtes et les mariages.
Qu’est-ce qui a causé ce changement d’attitude? Rien n’a vraiment changé depuis vendredi dernier. Le Machia’h n’est pas venu et le Temple est toujours en ruines. Le monde est encore très chaotique et dangereux, non seulement les guerres économiques et militaires, le corona virus vient s’y ajouter avec toutes suspicions possibles, les populismes s’expriment, les radicalisations et les stigmatisations s’installent de plus en plus.
Si rien n’a vraiment changé alors ma question tout simplement est ma nishtana hachabbat hazot mechabbat cheavra ? -Quelle est la différence entre ce chabbat et le dernier chabbat?
Si ce que nous avons fait et vécu pendant cette journée de deuil et de contrition était réel et sincère; et si la destruction des Temples de Jérusalem était vraiment une catastrophe nationale et que rien n’a changé concrètement, alors pourquoi sommes-nous si heureux lors de che chabbat post-9 av et paraissons si optimistes ?
Je crois que le virage à 180 degrés de Ticha Be’av à chabbat Na’hamou peut être tracé et relié à quelque chose qui se produisit à Ticha Be‘av. Pendant toute la durée de ces 25 heures de deuil de Ticha Be’av, dans toutes les communautés juives, d’Israël aux U.S.A., de la Perse à Marseille, avec tous les lieux communautaires sur la planète, les juifs de toutes tendances ont pu appliquer ce geste collectif et profondément individuel à partir de l’après-midi d u jour de Tichea Be’av. Nous créons, pendant quelques instants la sensation de nous trouver « hors du sol » en nous nous relevons de la position du deuil, assis par terre depuis la veille au soir et puis toute la matinée. Malgré le fait que la journée soit encore triste, et que nous ne sommes pas autorisés à étudier la Torah (qui réjouit le cœur), ni manger, ni boire ou porter des chaussures en cuir- et il nous était interdit de « nous redresser. » !!!!!
Je crois que l’interdit (ou la coutume) de ne pas se lever à Tisha B’av jusqu’au début de l’après-midi nous apprend qu’il y a deux motifs à Ticha Be‘av. Le premier motif est la tristesse et la prise conscience de notre histoire personnelle et familiale, voire communautaire; comme nous pleurons et nous nous lamentons de la perte du Temple, et toutes les tragédies vécues en diaspora par le peuple juif. Nous nous asseyons par terre; nous nous souvenons et nous nous connectons à la tristesse et aux temps sombres de l’histoire juive. Par contre, au milieu de la journée, quand on se lève, le motif du jour change. Après une nuit où nous avons lu, médité le texte du prophète Jérémie, les Lamentations, appelé en hébreu, meguilat Eichah et des Lamentations, après une matinée de Kinot déprimante, une détermination tranquille mais déterminée remplit le coeur du Juif.
Le «Juif de Tisha B’av» a démontré, l’après-midi du Jeûne, que peu importe le succès qu’il ou elle pourrait avoir, peu importe combien de conforts il ou elle pourrait trouver dans la diaspora, le «Juif de Tisha B’av» n’a pas oublié le Temple, et n’a pas oublié que quelque chose d’essentiel manque dans nos vies. Avec cela, il y a une détermination qui saisit le «juif de Tisha B’av. Le «Juif de Tisha B’av »se remplit de la détermination qu’il ou elle va intérioriser les leçons de Tisha Be’av, qu’il ou elle va fixer ce qui doit être fixé, corrigera ce qui doit être corrigé. Avec l’aide divine le «juif de Tisha Be‘av se pose et se lève avec confiance et détermination que ce sera le dernier Tisha Be‘av dans l’histoire.
Ainsi, par le fait de se lever l’après-midi de Tisha B’av, le motif passe du fait de regarder en arrière à l’action de regarder vers l’avant. Le motif des heures décroissantes de Tisha B’av revêt ainsi un optimisme tranquille de l’espoir (tikva) de la confiance en l’Eternel (la emouna), qui trouve son expression plus forte encore dans ce chabbat avec Na’hamou Na’hamou Ami– la haftarah pour chabbat éponyme, le chabbat de la consolation. Une preuve de l’affirmation que de se redresser à partir de midi change le motif de l’après-midi de Tisha B’av et sert de tremplin pour chabbat Na‘hamou, est le fait que le Psak Ashkénazi (la tradition ashkenaze) et hassidique, dans lequel j’ai grandi et également dans certaines communautés séfarades, la prière de NACHEM (Consoles-nous…. (texte que l’on retrouve à l’intérieur du birkat hamazon les actions de grâces pour les endeuillés) la prière de consolation, est dite seulement au cours de la prière de l’après-midi à l’office de Min’ha. Selon cette tradition, NA’HEM n’est pas le Mayen Hémorah -le motif central du jour- c’est plutôt que NA’HEM ou la consolation ne devient le motif de Tisha B’av qu’ APRES nous être levés l’après midi.Jusqu’à Minha on était dans le deuil et dans l’introspection, C’est à partir de moment où l’on s’est redresser (à la façon des discours des prophètes d’Israël), que nous puisons nos ressources dans les vrais CONSOLATIONS DIVINES, et donc dans EMOUNA.
Mon espoir, mon désir et ma prière est que la détermination tranquille dont nous avons fait preuve pendant Tisha B’av lorsque nous nous sommes levés pour réparer ce qui doit être amélioré, et pour corriger ce qui doit être corrigé, trouveront l’expression dans ce chabbat. Mon espoir est que notre confiance en l’Eternel soit ferme et sans faille, afin de remplir Ses promesses et pour consoler et racheter le peuple juif. Il en est de même pour notre confiance en nous-mêmes quant à nous corriger : cela se traduit par l’arrêt des divisions et des querelles partisanes, principalement institutionnelles, qui conduisent les juifs à des guerres de clochers. Notre travail, à sept semaines d’intervalles avant les 10 Jours Redoutables de Roche Hachana à Yom Kippour, créera, si nous le désirons ardemment, une vague de bonté, de générosité et d’augmentation de notre spiritualité ainsi que de notre solidarité entre frères humains, afin qu’il n’y ait jamais, jamais plus, de jeûne de Tisha B’av (issus de nos querelles intestines, de nos mépris et de notre injustice) et que nous puissions nous réjouir déjà cette année, de temps meilleurs, définis par nos prophètes. Amen.
5780 Rabbi Michel Liebermann