Histoire et histoires du peuple Juif N° 3: le Karaïsme
Le Karaïsme (קראות qaraout ; peut aussi s’écrire caraïsme, qaraïsme ou charaïsme) est un courant du judaïsme scripturaliste, car fondé sur la seule Miqra, c’est-à-dire la Bible hébraïque et le refus de la Loi orale. Il est donc en opposition au judaïsme rabbinique. Ses adhérents sont appelés les juifs karaïtes (hébreu : בני המקרא bnei haMiqra, « fils de la Miqra ») Les premières mentions des karaïtes remontent au IXe siècle et font référence au mouvement fondé en Babylonie par Anan ben David un siècle plus tôt, bien que des mouvements karaïtes moins importants aient pu le précéder. Le karaïsme connaît un âge d’or du IXe siècle au XIe siècle et aurait, selon certaines sources, été adopté par 40 % de la population juive mondiale, aussi bien en Europe que dans le monde arabe. Son influence décline ensuite progressivement mais des communautés se maintiennent au Caire, en Crimée et ailleurs. À compter du XIXe siècle, les karaïtes résidant dans l’empire tsariste (et uniquement eux) se redéfinirent pour la plupart comme un peuple distinct du peuple juif, d’ethnie turque tatare possédant sa langue propre. L’habitude s’est alors assez largement répandue de désigner les tenants de cette nouvelle approche par le terme « Karaïme » ou « Qaraylar». Aujourd’hui, le mot « karaïte » s’utilise pour désigner les karaïtes qui sont définis en tant que juifs, mais aussi comme terme générique pour désigner l’ensemble des groupes. Cependant, ces utilisations ne sont pas pleinement normalisées, et des utilisations inverses peuvent encore être trouvées.
STATUT DE LA FEMME Dans l’approche karaïte, les femmes sont jugées égales aux hommes, et les hakhamim karaïtes s’expriment en termes positifs vis-à-vis d’elles. Cette approche, qui a sans doute varié selon les époques et les communautés, est à l’origine de différences supplémentaires entre les coutumes karaïtes et rabbanites : • les hommes karaïtes ne récitent pas la berakha (bénédiction) shelo ‘assani isha (« qui ne m’a pas fait femme ») ; hommes et femmes karaïtes bénissent habor’i betzelem Enosh (« Celui Qui m’a créé[e] à l’image d’Enosh »), • les femmes ne sont pas dispensées des mitzvot dont le temps est déterminé ; les karaïtes expliquent que lorsque la Torah limite une mitzva aux seuls hommes ou aux seules femmes, le Texte l’indique clairement, et que dans les autres cas, les prescriptions doivent être réalisées de la même manière, pour les hommes comme pour les femmes, • le témoignage d’une femme vaut celui d’un homme, • les femmes karaïtes peuvent théoriquement exercer des fonctions de dirigeantes, y compris aux époques prémodernes. Ainsi, dans l’Espagne du XIe siècle, après le décès du dirigeant karaïte Sidi ibn al-Taras, c’est son épouse, al-Mou’alima (« L’Enseignante ») qui reprit la fonction de hakham. En pratique, ce type de situation est rarement rencontré. • Les karaïtes considèrent les hommes et les femmes égaux devant le divorce. C’est certes l’homme qui doit remettre le guett (document de divorce) à son épouse, mais il a été statué au XIXe siècle qu’un beth din (tribunal) karaïte peut s’y substituer si le mari refuse. Le statut d’agouna (« délaissée » : femme ne pouvant se remarier car son mari, bien que séparé d’elle, ne lui a pas accordé le guett) n’existe donc pas dans le karaïsme. • Il n’est pas interdit à une femme de parler ou chanter dans la kenessa. Si hommes et femmes y sont séparés, comme chez les rabbanites, la raison officielle n’est pas la lutte contre la tentation ou la distraction des hommes pendant la prière (vision rabbanite), mais la volonté de protéger la pudeur des femmes lors de la prosternation. Malgré ce statut théoriquement assez favorable, le poids des sociétés traditionnelles a toujours été important, et les communautés karaïtes ont eu des pratiques quotidiennes qui ne peuvent être qualifiées de « féministes ». Les karaïtes israéliens n’ont ainsi pas pour habitude de laisser une femme monter faire la lecture de la Torah à la synagogue.
Laurent Hajdenberg – ULIF Marseille – juillet 2020