Quand on parle de «pirates des Caraïbes», ce n’est vraiment pas la première chose qui nous vient à l’esprit. Pourtant, de célèbres personnalités juives ont marqué l’histoire de la piraterie.
C’est Flavius Josèphe qui fera mention de «pirates juifs» le premier dans les «Antiquités judaïques», un récit de vingt livres dont la première série des dix constitue des ouvrages bibliques, mais dont la seconde constitue un document historique essentiel concernant les périodes grecques et romaines en Palestine.
À la mort de la reine Salomé en 67 av. Jésus Christ, les héritiers Hyrcan II et Aristobule II se disputent le trône de Judée et finissent par en débattre avec l’empereur Pompéi.
D’après Flavius, Hyrcan accuse durant ce débat Aristobule d’avoir organisé une «piraterie en mer». Puis, vers la fin de la première guerre Judéo-Romaine, les juifs reconstruisent Jaffa et par ce port débute une importante force pirate visant à rendre innavigable les mers de Syrie, de Phénicie et d’Egypte.
L’Empire Romain mit un terme à cette rébellion et considéra cette victoire comme étant très importante. Bien entendu, l’ensemble des récits de Flavius Josèphe ne sont pas fiables à 100 %, il faut donc observer ces événements avec une certaine retenue historique.
La piraterie juive prend un nouvel essor au 15e siècle, en Europe cette fois, lors de l’Inquisition. L’essentiel des données concernant la piraterie juive de cette époque nous provient du livre «Les pirates juifs des Caraïbes» écrit par Edward Kritzler après de nombreuses années de recherche sur le sujet.
Le point de départ étant la Jamaïque où Kritzler sera très surpris par la présence de tombes juives marquées de fémurs entrechoqués, symbole célèbre de la piraterie.
Pour comprendre l’importance de la Jamaïque pour le peuple juif, il faut retourner en Espagne en l’an 1492.
« Ainsi, après avoir expulsé les juifs de vos terres, Vos Majestés m’ordonnèrent, le même mois de janvier, de m’embarquer avec les armes nécessaires pour les dites régions des Indes. », Christophe Colomb écrit ces lignes sur la première page de son carnet de bord.
Il fait référence au décret de l’Alhambra, l’édit d’expulsion des juifs espagnols qui entraîna par la suite l’expulsion des juifs portugais. La découverte de l’Amérique est ainsi étroitement liée à l’histoire du peuple juif puisque bon nombre des marins embarqués avec Colomb furent des marranes, juifs convertis de force par le royaume d’Espagne, et trouvèrent en cette Jamaïque (placée sous la juridiction de la famille Colomb) un lieu où ils purent vivre paisiblement à nouveau.
Avec le temps, l’influence de la famille Colomb se désagrégea et il faudra attendre l’Empire Britannique pour que la Jamaïque devienne véritablement un refuge pour la communauté juive.
Le sol de la synagogue «Shaare Shalom» en Jamaïque est d’ailleurs recouvert de sable blanc en l’honneur de ces marranes qui devaient recouvrir leurs pas lorsqu’ils allaient prier en secret durant l’Inquisition.
Synagogue Shaare Shalom Kingston Jamaica
Mais de nombreux juifs ne se sont pas contentés de survivre et se tournèrent vers la piraterie dans un désir de vengeance. Pour en apprendre plus sur ce courant, le mieux est encore de se pencher sur l’histoire des pirates juifs les plus célèbres.
Un de ces fameux corsaires fût Moshé Cohen Henriques,
pirate juif hollandais mais surtout officier naval de l’amiral Piet Pieterszoon Hein de la Compagnie néerlandaise des Indes occidentales. L’amiral Piet voulait également se venger des Espagnols qui l’avaient capturé et réduit en esclavage durant 4 ans.
En 1628 les deux compères réussirent ensemble à mener une des opérations les plus rentables de l’histoire de la piraterie en dérobant à une flotte espagnole l’équivalent d’un milliard de dollars en or, argent et autres objets de valeurs.
Moshé Cohen Henriques, avec sa part du butin, fonda avec ses marins (juifs) sa propre Île de pirate sur la côte brésilienne. Lorsque le Portugal reprit possession de cette Île, Moshé fuit l’Amérique latine et devint conseiller pour Henry Morgan, le célèbre pirate Morgan, le pirate sanguinaire qui sera anobli par Charles II d’Angleterre en récompense de ses actions contre les Espagnols. Henriques n’a jamais été pris, bien que son rôle dans le «braquage» de Cuba fût connu de l’Inquisition . . .
Edward Kritzler nous fait également découvrir Sinan Reis :
dit Sinan de Smyrne ou Sinan le Juif et même Le grand juif, né en 1480 dans une famille de réfugiés espagnols, qui, ayant perdu un œil en en 1504 dans une rixe, l’avait couvert d’un bandeau noir devenu iconique :
Sinan était adepte de la course-poursuite (il s’en prenait aux bateaux pas aux habitants du littoral méditerranéen) et son drapeau portait une étoile à six branches (le «sceau de Salomon»)
Il rejoint la flotte du grand amiral Khizir Khayr ad-Dîn dit «Barberousse», il épousera une de leurs sœurs . Ensemble, ils réussirent à vaincre la Sainte Ligue (la flotte espagnol) de Charles V durant la Bataille de Preveza en 1538.
La bataille de Preveza par Ohannes Umed Behzad 1866
Les idées de Sinan furent en bonne partie responsables de la victoire. Il fût surnommé «Le Grand Juif» par un gouverneur de l’Inde Portugaise. Sinan est enterré dans un cimetière juif en Albanie, on ne connait pas la date de sa mort.
Un autre personnage se nomme David Abarbanael, descendant du fameux Rabbi Don Yitsh’ak Abarbanael . Il naquit à Haag en 1580 d’une famille juive espagnole. Le père de David décida d’émigrer vers le Nouveau Monde avec sa famille, alors que David avait dix neuf ans. Lorsque le bateau s’approcha des côtes américaines, il fut attaqué par un bâtiment espagnol. Toute la famille de David fut tuée mais lui, put se sauver. Il rejoignit l’armée de mer anglaise, et monta rapidement les échelons jusqu’à devenir capitaine officiel. Il attaquait les navires espagnols. On le surnommait Capitaine Davis et sa Goélette s’appelait Yérouchalayim (Jérusalem).
Dans le livre de Kritzler il est également question de Rabbi Samuel Pallache,
fils de R. Isaac Pallache, né à Marrakech, le premier Juif à s’installer, en tant que tel, à Amsterdam, qui y a obtenu, en 1608, le droit d’établissement pour les Juifs (mais pas pour lui), et construit la première synagogue, Neveh Shalom, dont il était le Rabbin. En 1608, nommé ambassadeur à la Haye par le sultan du Maroc Moulay Zidan, il négociera le premier traité d’alliance entre un État chrétien, La Hollande, et un État musulman, le Maroc. En 1614, Samuel Pallache, aussi surnommé le «Pirate Rabbin» choisit finalement la voie de Sinan Reis et prit sa revanche sur l’empire Espagnol pour le compte de la Hollande et du Maroc.. il sera accusé de piraterie par l’ambassadeur espagnol à Londres et jeté en prison par l’Angleterre. Acquitté, il finira ses jours en Hollande, le prince Maurice de Nassau assistant même à ses funérailles.
À la même époque, d’autres capitaines qui ne cachaient pas leur judaïsme nomment leur navire «Reine Esther», «Le Prophète Samuel» ou encore «Le Bouclier d’Abraham».
Plus proche de nous, en marge des pirates juifs des Caraïbes se situe Jean Laffite :
grande figure de la piraterie américaine du début du 19éme siècle. A la différence des autres, il n’œuvra comme corsaire, que dans un but personnel. Né à Port au Prince en 1782, sa mère, qui avait fuit l’inquisition avec son mari et ses parents, de l’Espagne vers la France, puis Saint Domingue, décéda l’année suivante. Les frères Lafitte furent donc élevés par leur grand-mère espagnole juive, Zora Nadrimal. Cette dernière leur racontait leur fuite et comment l’inquisition tortura puis assassina leur grand père (le mari de Zora) Abhorad. C’est en 1791, lors de la révolte des esclaves, que les frères Lafitte s’échappèrent en Martinique et devinrent les corsaires que nous connaissons.
Jean se maria plus tard à une juive danoise, Cristina Levine. Après de multiples péripéties, ils arrivèrent à la Nouvelle Orléans, où décéda Cristina, de fièvre et d’épuisement. Les Laffite devinrent bientôt maître de toute la Louisiane et luttèrent aux côtés des américains contre les anglais, qui essuyaient défaite sur défaite. La flotte navale pirate des Laffite se constituait de 32 navires armés, plus que la flotte maritime américaine !
4000 hommes du Tennessee, des indiens de la tribu des Choctaw, des esclaves noirs libres, des créoles et des pirates, vinrent à bout des forces anglaises, qui tombèrent lors de la bataille de la Nouvelle Orléans. James Madison octroya le pardon présidentiel à Jean Laffite et à ses boucaniers pour service et héroïsme rendus à la nation américaine. Jean et Pierre Laffite s’installèrent de nouveau au Texas, et établirent leur second royaume sur la côte de Galveston.
Jean Laffite devenu homme politique, rencontra plus tard, vers 1847, Marx et Engels.
Il est peut-être enterré dans le cimetière juif de Metairie en Louisiane, dont il avait financé une des synagogues.
Que ce soit pour prospérer, survivre, se venger, ou tout simplement vivre au sein d’une communauté où il n’y a pas de temps laissé à la discrimination, les juifs ont trouvé dans la piraterie une voie étonnante dans laquelle ils se sont épanouis.
Les marranes ont joué un rôle décisif dans la découverte de l’Amérique (qui est aujourd’hui encore une nation où les juifs se sentent en sécurité) mais également dans la défaite de l’Empire Espagnol. L’image du juif errant faible et à jamais victime des autres peuples a probablement contribué à mettre de coté cette partie de l’héritage culturel juif, pourtant, ces drapeaux pirates munis d’étoiles de David ne sont pas moins des symboles de résistances juives à l’instar de l’insurrection du ghetto de Varsovie, ou à plus forte raison, à la chute de Massada.
Laurent HAJDENBERG – ULIF Marseille -octobre 2020