L’histoire des Juifs en Corse remonte à plusieurs centaines d’années. Les premières traces d’une présence juive dans l’île se situent aux alentours de l’an 800.
A cette époque, une importante immigration venue d’Egypte s’est installée dans le Sud de la Corse ; une grande partie de ces femmes et hommes juifs parlaient et écrivaient l’hébreu. La majorité d’entre eux s’est implantée à proximité d’un village dénommé Levie (la bien nommée), situe à l’intérieur des terres à 20 km environ de Porto-Vecchio.
Bien des siècles plus tard, dans les années 1500-1530, environ 1000 Juifs de la région de Naples trouvèrent refuge en Corse, fuyant très certainement une persécution locale, et ils s’installèrent dans les régions montagneuses du centre de l’île.
Une nouvelle immigration en provenance d’Italie eu lieu à la fin du 17ème siècle depuis la ville de Padoue alors en proie à de grandes violences contre les juifs du ghetto édifié en 1516.Certains avancent la théorie que le nom de famille Padovani, qui très répandu de nos jours en Corse, viendrait de cette immigration.
Mais la plus importante vague d’immigration juive qu’ait connue la Corse se situe entre les années 1750 et 1769. La première république constitutionnelle et démocratique d’Europe venant de naître, le leader de l’époque Pascal Paoli fit venir en Corse entre 5000 et 10000 Juifs du nord de l’Italie, (les chiffres varient selon les sources) de Milan, de Turin ainsi que de Gènes pour revitaliser l’île suite à 400 ans d’occupation génoise. Afin de les rassurer sur leur intégration et sur la volonté du peuple corse de les considérer comme leurs égaux, ce même Paoli fit une déclaration destinée aux nouveaux venus : “Les Juifs ont les mêmes droits que les Corses puisqu’ils partagent le même sort”. Cela fit comprendre aux Juifs qu’ils étaient des citoyens à part entière et qu’ils bénéficiaient d’une totale liberté de culte, ce qui n’était pas le cas dans bon nombre de pays.
Ces immigrants portaient pour la plupart des noms à consonance ashkénaze, qui étaient très difficilement prononçables par la population locale. Une partie d’entre eux étant roux, ils se virent affubles du surnom de Rossu qui signifie rouge et désigne les rouquins ce qui donne au pluriel Rossi, nom extrêmement répandu en Corse. En réalité, c’est plus de 25% de la population corse qui aurait des origines juives. En lisant les états civils, on peut facilement s’en rendre compte : les noms tels que Giacobbi, Zuccarelli, Costantini, Simeoni… très communs dans l’île de Beauté, ne laissent planer aucun doute quant à leur origine.
Une autre thèse contradictoire existe par rapport à l’origine de ces noms de familles, notamment par l’historien Corse Antoine- Marie Graziani qui affirme que les noms de familles corses sont directement issus de prénoms.
Le nombre peu important des membres de la communauté juive, ajoute au fait que les Corses n’ont fait aucune différence entre les originaires de l’île et ces nouveaux venus, est très certainement à l’origine d’un grand nombre de mariages mixtes qui déclenchèrent une assimilation quasi-totale. Malgré cela, les signes sur l’île de beauté d’une ancienne présence juive y sont très nombreux ; un exemple probant en est le nom d’un village Cazalabriva qui selon plusieurs sources concordantes viendrait de: casa di l’ebreo, littéralement la maison de l’hébreu (le mot juif n’existant pas en Corse). Ou bien encore, de nos jours dans certaines régions, il subsiste une tradition très ancienne de donner aux nouveau-nés des prénoms d’origine hébraïque tel que Mouse (Moise) etc. …
Exception parmi les îles majeures de la Méditerranée, la Corse n’est pas une destination habituelle de la diaspora juive, et de l’Antiquité à la fin du XIXe siècle il y a eu pas ou peu de Juifs dans l’île . L’origine de la petite communauté insulaire contemporaine est étroitement liée au déclin du grand voisin oriental, l’Empire ottoman. Dans les années 1890 quelque 150 Juifs sujets ottomans, originaires principalement de Constantinople, ont profité de l’ouverture des frontières turques pour s’installer en Corse.
Autre événement marquant entre les juifs et la Corse c’est passé en 1915. Des juifs en provenance de Palestine, de Syrie, d’Algérie et du Maroc se sont réfugiés dans l’île pour échapper aux Ottomans alliés des allemands qui combattaient les forces alliés occidentales, et qui risquaient de subir les pires atrocités que faisaient subir les ottomans aux non-musulmans qu’ils considéraient tous comme ennemis de leur empire. C’est pendant ces années qu’eut lieu le génocide arménien. Ces femmes, enfants et hommes sont restés près de 5 années sur l’île avant de repartir.
Enfants réfugiés juifs à Ajaccio en 1916
Aujourd’hui la communauté juive en Corse est très réduite, il y a une petite (par la taille) synagogue à Bastia, elle a été créée en 1934.
La synagogue Beth Meir de Bastia
Cette question : La Corse, Île des Justes ? est posée car, en effet, il n’y a pas eu de déportation de juifs depuis la Corse pendant la Shoah , le préfet Paul Balley et son administration ont détourné les ordres de Vichy…concernant les juifs, et de nombreux juifs ont été cachés par les habitants dans la montagne. Seul, Ignace Schreter, un juif allemand réfugié dans l’île a été arrêté le 30 septembre 1942 et déporté à Sobibor où il a péri, mais c’était en quelque sorte accidentel. Il a été arrêté sur ordre du secrétaire général de la préfecture d’Ajaccio qui a profité de l’absence du préfet, retenu ce jour-là à une conférence interrégionale à Marseille.
De plus, après la guerre, en 1947, la Corse apporta sa contribution à la création de l’Etat d’Israël. Des Corses d’alors décidèrent de secourir les combattants juifs luttant pour leur indépendance et pour former leur Etat. Leur mission: accueillir des avions qui vont être bourrés d’armes pour s’envoler vers des lieux gardés par la Haganah. Ajaccio est alors choisie comme piste d’atterrissage. Des hommes, parmi eux des policiers mais aussi des voyous, rendent visite au préfet de l’époque; il a pour nom … Maurice Papon., trois Corses lui expliquent que l’aéroport d’Ajaccio sera réservé à ces transports d’armes. Les Corses bénéficient de l’accord du gouvernement qui ne peut agir ouvertement. Maurice Papon ferme donc les yeux, les armes transiteront par la Corse pour s’évaporer vers le futur Etat juif.
Depuis quelques uns ont essayés d’inscrire la Corse dans son ensemble sur la liste prestigieuse des Justes parmi les nations à Yad Vachem. Maxime Cohen, alors président de la petite communauté juive de l’île formula cette requête en 2010. La requête n’a pas été retenue par Yad Vashem, aujourd’hui, en France, seul le village du Chambon-sur-Lignon a reçu le titre collectif de «Juste parmi les Nations » au Mémorial.
Selon Serge Klarsfeld “La Corse est bien une île des Justes“, et le Grand Rabbin Haïm Korsia déclare «Les Corses dans leur ensemble ont considéré que c’était une partie d’eux-mêmes que l’on touchait … c’est une tradition en Corse que l’on accueille les Juifs et ce qui s’est passé pendant la guerre, n’est que la conséquence d’une relation ancestrale».
Pour ma part je rappelle que la Corse a été en Zone libre jusqu’en novembre 1942, puis est passée sous occupation italienne en mai 1943 et sera libérée par le débarquement des alliés le 9 septembre 1943, elle n’aura subi le joug nazi bien moins longtemps que le reste de l’Europe.
Laurent Hajdenberg – ULIF Marseille – janvier 2021