A l’oral ou à l’écrit, le rabbin Philippe Haddad vous livre son commentaire sur la paracha A’harei Mot – Kedochim 😉
Après le pardon… la vie 🍃✨
Cette année deux paracha et un même thème : le pardon et la vie sanctifiée. Le pardon de Kippour et la sanctification de la vie.
La conscience athée porte l’insouciance de son existence, en même temps que sa tristesse de vivre. La 1er question philosophique, écrit le grand Camus, est la question du suicide : si naître c’est déjà mourir, alors pourquoi la vie ? Et il faudra trouver un sens, un goût, une orientation, un taâm en hébreu, pour s’arracher chaque jour à la conscience de notre mort, en accumulant les jouissances et les richesses, les rires et les délires pour peindre les graines de secondes qui s’écoulent dans notre sablier du temps.
La conscience religieuse, celle des Hébreux, nos ancêtres dans la foi, n’est pas camusienne. Elle se sait venir d’ailleurs, elle se sait partir ailleurs. « Ce monde ressemble à un corridor avant le palais, prépare-toi dans le corridor avant d’entrer dans le palais », dit le traité des Pères.
Nous naissons tous un jour, ou une nuit, dans un hall de gare, regard hagard, prêts à nous égarer, et nous prenons un train vers le terminus de nos fins. À nous d’organiser la vie dans les wagons, selon notre place assignée.
Être hébreu est une manière d’être, il existe symboliquement 70 autres manières d’être. Être hébreu, se réclamer descendant d’Abraham l’Hébreu, c’est accepter de traverser la vie en portant le pari de Dieu dans son cœur. Faire résider Dieu dans le monde, faire de ce monde Son sanctuaire, en consolidant les piliers de la justice, de l’amour et de l’humilité selon le bel enseignement du prophète Michée. Et la cacherout, et la prière, et le Chabbat ? Ils ne prennent leur sens que sur la base de ce triptyque, sinon ils ne valent pas plus que les pitreries d’un clown, et dans un cas comme dans l’autre, ils font rire.
Vivre dans le monde, c’est prendre conscience d’un au-delà de moi-même, contre mes mensonges, contre mes manquements, contre mes égoïsmes. Dieu n’a pas créé un humain parfait, mais un humain à parfaire, ce qui revient à dire que mes failles ne dépendent pas de moi, mais de Lui. Et pourtant l’espérance biblique, la révolution hébraïque contre la fatalité qui s’abat sur Œdipe, sur tous les Œdipe d’hier et d’aujourd’hui affirme : « ô fils de l’Homme, tu peux y arriver ». Chacune et chacun peut réaliser le miracle de la solidarité, de l’entre-aide, le miracle de l’amour.
Certes, la désespérance peut toujours nous abattre : « j’ai fauté, j’ai été égoïste, j’ai été médisant j’ai été haineux, je n’ai pensé qu’à moi sans penser à toi ». À l’appel de « tu aimeras ton prochain comme toi-même », j’ai répondu par « je m’aimerai encore plus que moi-même ». Et j’ai érigé, dans le cycle d’un temps solaire, ici et là, des veaux d’or, renvoyant sur leur dorure scintillante l’image simiesque de mes sourires narquois.
Moïse brise chaque année les 10 paroles de la Loi sur le veau d’or de nos insouciances idolâtres. Et devant ce vide insupportable de la désespérance de l’Homme, Moïse implore l’Être Eternel pour que ce vide de honte soit empli du trop plein de son Être qui est le débordant de son amour. Et Dieu transgressa son Chabbat pour offrir le pardon du Yom Hakipourim, le jour des Expiations. D’année en année, Israël se plonge dans les eaux bienfaisantes du pardon divin. Mais, comme cette humanité antique avait encore besoin d’images et de rituels rassurants – mais avons-nous un jour quitté le monde des images ? – Dieu offrit le cérémonial du Temple, avec le grand-prêtre, descendant d’Aaron, l’homme de la paix ; avec le bouc émissaire pour visualiser que les fautes de tout le peuple partaient bien au désert ; avec l’humble entrée du pontife dans le saint des saints, mais surtout avec la joie de pouvoir recommencer, autant que faire se peut, un nouveau cycle annuel, sans le poids névrotique de nos égarements, de notre éros débordant. Alors la paracha Kiddouchin peut être entendue à partir de son verset inaugural : « Saints vous serez, car Saint je suis l’Éternel votre Dieu ».
Ne vous prenez pas pour Dieu, soyez saints d’une sainteté humaine, comme je suis saint de ma sainteté divine.
Être saint ? Qu’est-ce à dire dans notre monde laïc et désenchanté ?
Vladimir Jankélévitch nous en donne une belle définition : « le projet du judaïsme n’est pas de judaïser l’humanité, mais c’est de l’humaniser ». Là où le nom de l’homme est reconnu, le Kaddich peut être récité « Que son nom soit grandi et sanctifié ».
Chabbat chalom