Deutéronome 26: 1 – 29: 8
L’Affirmation de sa responsabilité et la puissance de «Amen».
Dans le récit des bénédictions et des malédictions que contient la Parasha Ki Tavo, l’Eternel énonce des attentes sur la façon dont nous devrions nous comporter, indiquant clairement qu’il ne s’agit pas d’une alliance de foi, mais bien d’actes. Un philosophe juif contemporain David Hartman soutient que les bénédictions et les malédictions ne sont pas littéralement infligées aux humains en réponse à leur observance ou non-respect des commandements. Hartman soutient, au contraire, que la Torah énumère ces malédictions et ces bénédictions afin de souligner l’ importance d’agir avec sainteté et d’actualiser ainsi la présence divine au milieu de nous. Les bénédictions et les malédictions sont dites comme un rappel symbolique de nos obligations, la berit, l’alliance contractée au Mont Sinaï, renforçant notre engagement envers une alliance enracinée dans l’action.
Le rabbin Abraham Joshua Heschel invoque également notre alliance avec l’Eternel, quand il affirme que les bénédictions et les malédictions sont destinées à donner un sens de notre partenariat avec le divin alors que nous luttons pour faire le bien et pour anéantir le mal. Le simple respect des lois écrites de la Torah ne suffit pas pour apporter continuellement la sainteté dans nos vies. La Torah stipule non seulement que certains actes sont interdits, mais exige aussi largement que nous acceptions nos responsabilités afin de réaliser une société durable et juste.
Heschel comprend la signification de nos actes à la fois en tant que signes de notre relation dans l’alliance et en tant qu’agents actifs de changement dans notre environnement. Dans son magnifique ouvrage, écrit en anglais «Dieu en quête de l’homme », il écrit: « C’est dans les actes que les êtres humains prennent conscience de ce qu’est réellement la vie, de leur pouvoir de nuire et de blesser, de détruire et de ruiner; de leur capacité à tirer la joie et à la donner aux autres… L’acte est l’épreuve, l’épreuve et le risque. Ce que nous exécutons peut sembler léger, mais les conséquences sont immenses ».
Une recette pour le développement durable: Compris de cette manière, les mitsvot ben adam le’havéro – ces commandements qui guident les relations humaines – actualisent réellement notre alliance avec l’Eternel. La majorité des mitsvot détaillées dans cette partie de la Torah se concentrent sur le soutien de relations justes et compatissantes avec d’autres êtres humains – en fait, offrant des lignes directrices pour la création de communautés justes.
Les interdictions de subvertir les droits de l’étranger, de nuire secrètement à un voisin et d’accepter des pots-de-vin, et bien d’autres encore, soutiennent les droits humains universels que nous cherchons à défendre dans notre travail de justice sociale. La Torah défend l’intégrité et la dignité humaines, et notre tradition scriptuaire élève encore cela avec l’affirmation que la forme la plus élevée de tsedaka ( de la justice sociale) c’ est d’aider quelqu’un à devenir autonome.
Il y a une scène frappante imaginée dans Parachat Ki Tavo (Deut. 27: 11-26): En traversant le Jourdain, les 12 tribus d’Israël se diviseront en deux groupes. Six tribus se tiendront sur une montagne du sud, et feront face aux six autres tribus sur une montagne du nord. Les Lévites hurleront alors un catalogue de 12 fautes, chaque citation commençant par la phrase «Maudit soit celui-là». Après chaque faute articulée, les 11 autres tribus crieront: «Amen!»
Des engagements solides : Les tribus répondent aux malédictions à l’unisson – alors, quelle est la puissance du mot «Amen»?
«Amen» vient de la racine «affirmer». Dire amen, c’est rendre quelque chose plus solide, littéralement, «l’affirmer». Dire amen crée une réalité communautaire en renforçant les engagements partagés. Le rituel dans le judaïsme en prière nous fait normalement dire amen aux bénédictions. Nous avons l’habitude de dire et donc de qualifier par le terme amen des choses que nous croyons ou souhaitons être vraies. Nous disons amen joyeusement, avec beaucoup d’espoir, aux bénédictions offertes lors des mariages, des circoncisions des bébés et et lors de rituels pendant les fêtes, telles Pessah ou Souccot, ou en encore Pourim et Hanoukka. Dans la loi juive, répondre «amen» après une bénédiction est considéré comme plus louable que de dire la bénédiction soi-même (Talmud ChevOuot 29b).
Et que signifie alors le fait de répondre amen à une malédiction? En affirmant chaque péché, les onze tribus d’Israël qui répondent, individu par individu, expriment leur engagement à être une nation sainte. Ils affirment leur attachement à une norme de justice partagée – ainsi chaque acte interdit, cité par les Lévites représente une valeur communautaire.
D’autres malédictions arriveront plus tard dans la paracha Ki Tavo, et elles sont graphiques: des femmes dévorant leurs propres enfants, des Hébreux retournant en Égypte, des épidémies et aussi l’exil. Peut-être que le plus grave apparaît à la fin de notre péricope : v’lo ta’amin b’hayekha – «et tu ne croiras pas en ta propre vie». (Deutéronome 28:66.) La partie semble dire que nier que nos vies ont un sens, ne pas croire au pouvoir de nos propres vies, est le pire résultat du péché.
Bénédiction et promesse : Si les malédictions représentent ici l’impuissance et l’absence de sens, les bénédictions présentent le contraire: elles illuminent la possibilité et le pouvoir. En offrant une vision prometteuse, ils nous incitent à croire en nos vies.
Nous pouvons les imaginer comme des contre-bénédictions face aux malédictions sur la montagne. Cela pourrait représenter un appel commun au sens de notre vie et à notre capacité à effectuer des changements, même dans notre propre comportement à l’intérieur de notre tradition religieuse. Avec les paroles que je vous propose de méditer, ou de répéter ……
Accorde-nous la sagesse de créer de nouveaux paradigmes qui feront avancer notre tradition dans ce monde qui bouge si vite et qui se renouvelle. Amen!
Donne-nous le courage d’extirper de notre histoire et de nos comportements ces idées et ces valeurs qui sont contraires au caractère sacré de la vie des autres peuples, des croyances et dans la diversité des êtres. Amen!
Accorde-nous la compassion de sympathiser avec les oubliés, les endeuillés, avec ceux qui sont privés de leurs droits, les malades, les sans-abri, les angoissés, les handicapés, les mal-aimés et les indifférents pour les personnes qui nous entourent, les masses humaines aux prises avec le désespoir et la panique que cela engendre. Amen!
Éclaire nos esprits afin que nous puissions composer de nouvelles prières, afin d’arrêter d’être des automates, des aveugles, pour que nous puissions enfin remuer nos cœurs fatigués – pour faire sortir de nouvelles larmes dans nos yeux secs, – pour bouger nos consciences trop confortables. Amen
Et ainsi puissions-nous être émus d’inscrire nos propres lettres, peut-être même un mot ou deux, dans le livre éternel de la vie et de l’humanité. Amen!
Disons tout cela à voix haute: Il y a une raison pour laquelle la cérémonie des malédictions et des amen sur les montagnes d’Israël devait être prononcée à voix haute. Nos ancêtres avaient besoin d’entendre les affirmations de la responsabilité des uns envers les autres.
Pas nous? Dans nos communautés cette semaine, écoutons les malédictions prononcées sur les deux montagnes comme étant une affirmation de nos valeurs communes.
Articulons également de nouvelles bénédictions pour défier les malédictions, en affirmant énergiquement et humblement notre pouvoir de créer le changement. Et laissez nos paroles nous amener à agir.
Ensemble, lorsque nous recherchons la justice, lorsque nous faisons du bénévolat, lorsque nous faisons un don, lorsque nous nous engageons dans le plaidoyer, nous ajoutons nos amen contemporains au cris des Hébreux, nos ancètres, avec Moïse sur les deux montagnes.
Nous faisons un !! et nous nous nous relions à l’ancien engagement juif pour la justice. Amen, amen, kén yehi ratson et qu’il en soit ainsi.
Rabbi Michel Liebermann