La paracha de la Torah de cette semaine est intitulée Noa’h, couvrant Genèse 6: 9 à 11:32. Il nous parle du Déluge mondial, cataclysme qui a détruit toute vie sur Terre à l’exception de Noa’h, de sa famille et des couples ancestraux de tous les animaux. Vous le savez, je n’aime pas Noa’h, je le considère comme, à la rigueur, le fondateur de la S.P.A, négligeant les humains et préservant les animaux. Mais le Déluge n’est pas le thème principal de mon propos. Le thème est plutôt à rechercher ce que signifie être le reste, le rescapé d’une époque passée, basculant dans un nouveau monde : celui de l’après le Déluge. N’ayant pas de solutions massives, je scruterai plutôt les conditions et les comportements, pour ensuite, déduire une piste que la thora nous propose.
La question se pose malgré tout : à quoi ressemble la confiance ou la foi en temps réel: dans notre récit de Beréchit, un homme, Noa’h (qualifié dans le Texte de juste), vivant au milieu d’une société impie, ayant une relation particulière (pour moi incompréhensible et indéfinissable) avec le Créateur, et qui est prêt à passer auprès de ses congénères pour un idiot, ou un illuminé, ayant comme souci uniquement l’obéissance aux ordres du Divin, en construisant une arche. D’une certaine façon, sa confiance en l’Eternel, et son obéissance, ont protégé Noa’h et sa famille du jugement. Trois mots clés apparaissent au début de cette paracha: Noa’h Ich Tsadik – Noa’h était un homme juste (?????). Voici un homme désigné par Dieu comme (relativement) irréprochable (comme le rappelle si bien Rachi) au milieu d’une génération complètement dépravée. Le Texte nous dit que Noa’h a marché avec l’Eternel (hithalé’h im haElohim). Le mot utilisé pour le décrire signifie complet, intégrité. Comparez cela avec le verdict divin sur le reste de l’humanité: L’Eternel regarda la terre, et voici, elle était corrompue; car toute chair avait corrompu sa voie sur la terre. Le meurtre d’Abel par Caïn semble n’avoir été que le début. Le péché s’est propagé rapidement à travers l’humanité comme un virus agressif, et le monde entier a été rempli d’effusion de sang. Vous connaissez l’histoire : Dieu ordonne à Noa’h de construire une arche en bois de gopher, décrit les mesures et sa structure : trois ponts, bordée de poix, dans laquelle lui et sa famille et les couples d’animaux représentatifs seraient à l’abri du Déluge à venir. À partir de ces couples ancestraux d’animaux et les 4 couples, la terre sera finalement repeuplée.
Il existe de nombreuses histoires anciennes de grands déluges mondiaux qui nous sont parvenues par des groupes de personnes sur tous les continents de la terre. Les Chaldéens ont parlé de Xisuthrus, des Sumériens de Ziusudra, des Assyriens d’Utnapishtim, des Babyloniens d’Atrahasis, des Masaï en Afrique de l’Est de Tumbainot, et il y en a d’autres. La plupart de ces histoires de Déluge ont des éléments communs : une méchanceté omniprésente dans l’humanité face à un homme aux qualités bonnes et pieuses, des instructions pour construire une arche ou un bateau, le rassemblement d’animaux pour l’accompagner sur le navire et un Déluge qui anéantit le reste de l’humanité. Certains soutiennent que toutes ces histoires d’inondations communes prouveraient que les premiers chapitres de la Genèse seraient issues de la mythologie. Au contraire, je crois que c’est parce qu’il y a eu un Déluge mondial très réel, catastrophique, à l’époque de (ce que la Torah appelle) Noa’h; et que les variations dans les histoires sont apparues au fil du temps après que les nations ont été séparées par les langues (voir la tour de Babel (en hébreu babel signifie confusion). Les causes sont différentes dans ces divers narratifs, mais ce n’est pas notre sujet.
En tout cas, métaphoriquement, de ces quatre familles, Noa’h, sa femme, ses fils et leurs femmes, la terre a été repeuplée. L’Eternel leur a dit en sortant de l’arche: «Soyez féconds, multipliez-vous et remplissez la terre», comme Il l’avait commandé à Adam et à sa femme Hava. Maintenant, cependant, les choses seraient différentes. Les animaux ont maintenant peur de l’homme, et l’humanité va les « dominer ». Malheureusement, certaines choses resteront les mêmes. Au chapitre XI, nous découvrons que l’humanité est résolue à se rebeller contre l’Eternel, déterminée à se faire un nom, et elle décide donc de construire une ziggourat – une grande tour – pour montrer son mépris pour l’autorité divine, c’est la Tour de Babel. L’Eternel a pris note et a transformé notre langue commune en babillage, et a dispersé l’humanité sur la surface de la terre, pour finalement construire des nations séparées. La paracha se termine par une généalogie – celle de Chem ( troisième fils de Noa’h). Nous voyons ici les débuts d’une lignée choisie. Ce n’était pas par ‘Ham ou par Yaphet qu’Israël émergerait, c’était bien par Chem et son fils Ever (l’ancêtre des Hébreux – ivrim). Et la généalogie de Chem nous conduit, à la fin du chapitre XI, à Térah et à ses fils, et nous sommes appelés à apprendre de la typologie, en particulier, de l’un des fils de Térah, Avram – Abraham. Cet Abraham aura une relation unique avec l’Eternel, toute différente de Noa’h, et l’histoire qui nous intéresse particulièrement commencera ici, avec cet homme.
Mais voici ce que je pense : ce n’est pas si longtemps après Adam et Eve, que Mathusalem1 mourut peu de temps avant le Déluge (le texte nous raconte qu’il a vécu 969 ans). Et sa vie a chevauché celle d’Adam pendant plus de 200 ans! On peut imaginer et dire que ces deux protagonistes connaissaient l’existence de l’Eternel (on ne sait pas vraiment sous quelle forme). Et dire que toute l’humanité était devenue complètement mauvaise, on pourrait parier qu’elle était d’une certaine façon également «religieuse» en ayant ses croyances et ses certitudes ? Nous sommes des créatures potentiellement religieuses, nous aimons croire en quelque chose. C’est dans notre ADN. A un certain moment même les rebelles sont, à la fois «religieux» dans leurs propres « certitudes ». Le fait est que, malheureusement, nous voulons faire notre propre « religion » selon nos propres conditions et nos propres désirs. C’est l’une des raisons pour lesquelles je rejette l’utilisation du terme «non-croyants» pour décrire les personnes qui ne connaissent pas l’Eternel ou autre forme de spiritualité. Pensons-nous vraiment que le problème est que ceux-là n’assistent pas aux services religieux (comme si c’était le remède) et que l’un vaut l’autre ? Pourquoi ne pas dire ce que nous voulons dire : en tout cas au sein du judaïsme, nous n’avons pas toujours été honnêtes avec nous-mêmes au sujet de l’urgence de rester dans l’axe ds valeurs de la Thora, par l’étude, par la pratique de nos mitsvot, touchants à la justice sociale, à l’équité et à la bienveillance ; plutôt que de nous repentir avec complaisance le jour de Yom Kipour, alors que nous sortons des « jours redoutables », qui sont nos outils pédagogiques, par excellence pour notre amélioration. Ces jours qui sont sensés réveiller notre conscience ; hélas c’est avec complaisance nous avons ajusté notre vocabulaire, et nous nous sommes tous trouvé toutes sortes d’excuses.. pour faire autre chose.
Il y a un message qui nous donne à réfléchir dans le récit de Noa’h, car il y a dans ce récit un grand Jugement de l’humanité , laquelle a toujours eu son libre-arbitre sur la terre, et nous n’avons hélas que deux options : monter dans le bateau ou périr dans les flots. «Monter dans le bateau» peut signifier que nous devons endurer le ridicule, car c’est nous singulariser, c’est refuser la pensée unique, les dictatures, les abus, la violence, les ségrégations etc. Noa’h, par le fait d’avoir obéi, a certainement été la risée de la communauté des hommes de son temps. Je retiens également que les gestes qui attestent la confiance semblent être vraiment évidents lorsque, par obéissance à l’appel divin, pour Noa’h, mais également dans toutes les générations, on doit endurer « volontairement » le ridicule ou l’hostilité pure et simple. Et l’un cède généralement la place à l’autre. D’abord, ces pouvoirs mis en place avec leurs idéologies, par l’intermédiaire de tout l’appareil étatique, médiatiquement orienté et instrumentalisé, se moquent de vous; puis vous lancent des insultes; puis vous menacent et tentent de vous intimider; puis vont vous discriminer, pour ensuite vous faire subir un préjudice physique ou financier, voire pour finir éradiqué ou même décapité.
Peut-être que dans cette période particulière où le virus COVID sévit, et où tant de violences se déferlent autour de nous, à travers les injustices sociales ainsi que le fruit des radicalisations, nous pourrions être dans une période comparable aux jours de Noa’h. Le verset nous rappelle que «veha’arets koulo ‘hamas = et la terre est remplie de violence) Les habitants de la terre au temps de Noa’h continuaient à gérer leurs affaires, à s’amuser, et avaient peu de temps pour s’inquiéter de l’Eternel ou d’un jugement quelconque. Ils mangeaient, buvaient et se mariaient. Peut-être que nous n’ayons pas compris tout cela jusqu’à ce que la perspective du Déluge vienne et nous emporte tous. Puissions-nous être plus compréhensifs. Puissions-nous reconnaître que nous devons être prêts, et revenir à de bons sentiments liés aux actes de bonté et de justice sociale. Alors : quel est notre Arche de Salut dans les temps les plus proches ??? Mais comme au temps de Noa’h, lorsque la porte se ferme sur cette arche vous êtes en sécurité à l’intérieur, et en danger à l’extérieur.
Rabbi Michel Liebermann
1 Mathusalem est le fils d’Hénoch et selon le livre des Jubilés, d’Edni. Selon notre comptage des années, le chapitre V dans Beréchit lui prête 969 années de vie, donc de l’an 687 à l’an 1656 après la Création d’Adam.1656 est l’année même du Déluge. Son fils Lamech naît lorsque Mathusalem a 187 ans. Lamech vivra moins longtemps que son père, avec seulement 777 années. On peut également noter que Lamech meurt 5 ans avant son père, soit 5 ans avant le Déluge. Son petit-fils est Noa’h, acteur principal de l’histoire du Déluge. En reprenant les dates importantes de vie de ces 3 personnages (naissance, enfantement, décès), on en déduit que la date du décès de Mathusalem coïncide avec celle du Déluge (année 600 de la vie de Noé)