A l’époque de Casanova, à Venise, on disait des meilleurs vins qu’ils étaient aussi bons que ceux qu’on servait dans les prisons.
Et en effet, les meilleurs vins étaient servis dans la prison des Doges. Vous devez savoir que cette prison était particulière pour son emplacement. Elle était localisée dans les sous-sols du Palais des Doges, la résidence du Doge de Venise, qui correspond plus ou moins à notre château de Versailles. Par conséquence, cette prison n’abritait pas n’importe quel truand ou malfaiteur. Non, c’était plutôt une prison politique où on enfermait les espions ou les conspirationnistes.
Le symbole était donc fort de les retenir dans le palais même qu’ils ont tenté de renverser. Et Casanova y fut enfermé, accusé de conspiration avec la France, avec pour plus solide preuve qu’il parlait français. Il faut dire que la République de Venise, pays alors indépendant, était très inquiète d’une conquête étrangère en ce 18ème siècle. Inquiétude qui s’est révélée justifiée puisqu’en 1797, Napoléon Bonaparte conquit Venise et ouvrit les portes du Ghetto juif.
Afin de faire parler ces détenus particuliers et dévoiler leurs secrets, les geôliers les abreuvaient de vins. Et pas n’importe quel vin. Le vin livré au Palais des Doges, celui destiné au Doge de Venise lui-même. Le meilleur vin se trouvait par conséquent en prison.
En effet, le vin a cela de particulier qu’il révèle le secret (Sanhédrine 38a), ou plus exactement il permet le passage d’un univers caché à un monde dévoilé.
Cette capacité vient du fait que le vin se trouve lui-même à la lisière de deux dimensions.
La dimension matérielle se définit par trois axes : le temps, l’espace et la matière. Chaque élément matériel est soumis à ces trois paramètres. Il se définit dans un temps limité, dans un espace déterminable et par une texture précise. C’est ainsi que tout élément matériel est vieilli par le temps, car il est subordonné à cette dimension. Par exemple, une pomme magnifique perdra sa fraîcheur quelques jours après sa cueillette.
Les éléments spirituels n’ont pas ces trois voiles et ne subissent pas les aléas de la matérialité. Voilà que le vin fait exception, subordonné à un espace et à une matière, le Temps n’a cependant aucune emprise sur lui. Au contraire plus il passe, plus le vin s’ennobli.
En d’autres termes, le vin est l’élément matériel le plus spirituel, ou l’élément spirituel la plus matériel. Comme s’il s’était arrêté en chemin.
Imaginez un corps humain sur lequel, au lieu d’observer des yeux bleus ou des cheveux noirs, on voyait les protéines du gène correspondant dans l’iris ou sur les cheveux, telles quelles.
Et bien c’est ce qu’est le vin dans le monde matériel, une spiritualité pas totalement matérialisée. Aussi, le vin a cette énergie de créer le passage entre deux mondes, étant lui même à la démarcation des deux mondes.
Nos sages ont ainsi décidé d’inviter le vin à chaque voyage, étape ou transmission de la vie juive, afin de profiter de son influence énergétique.
Par exemple, le kiddoush du vendredi soir est dit sur du vin, car le juif passe d’un monde hebdomadaire à celui du Shabbat. Mais l’inverse est aussi vrai, le samedi soir lors de la havdala, le voyage du Shabbat vers le quotidien est véhiculé par le vin.
Ou encore, le mariage, passage d’une vie à une autre, est célébrée avec la présence du vin.
La Brit Mila, transmission du bébé dans l’alliance juive, là encore est accompagné du vin.
Finalement, la révélation des secrets, le passage du monde caché au monde dévoilé, n’est qu’une application parmi tant d’autres de l’essence même du vin, qui est la liaison entre les mondes.
Il n’est pas étonnant que la Tora raconte que lors de la consummation des viandes sacrées au Beth Hamikdash, le vin devait coulait et les chants devaient résonner.
En effet, le Beth Hamikdash est selon la terminologie de nos sages, le point géographique qui relie le Ciel et la Terre, le lieu de rencontre entre l’humain et le divin.
Lorsque la fumée montait vers le ciel, à ce moment et dans ce lieu plus que nulle part ailleurs, la sensation d’être à mi-chemin entre la terre et le ciel était inspirée par la présence du vin et la musique qui, sans aucun doute, est dépositaire aussi de cette force qui touche à l’âme ici-bas, qui inspire tout en laissant les pieds sur terre.
Mais voilà que durant la fête de Souccot, en plus de faire couler du vin, les Cohanim versaient aussi de l’eau. Si le vin est le décapsuleur de l’intériorité de l’individu, de ses secrets, de son intimité profonde finalement, l’eau à l’inverse est d’abord symbole de la pluralité, la communauté, l’uniformité.
En effet, le terme ‘eau’ en hébreu n’a pas de singulier, ‘Mayime’ est toujours dans la forme plurielle, et physiquement aussi l’eau n’a pas de singularité.
Quand le vin est individualité et particularité, l’eau est pluralité et universalité.
Quand le vin et l’eau joue dans la même cour, cela veut dire que chaque individu contient en lui l’autre, l’inquiétude pour l’autre, le plaisir pour l’autre, l’intimité avec tous.
L’eau à la place du vin, c’est pouvoir dire ses secrets à n’importe qui, pas seulement aux intimes, c’est quand il n’y a plus rien à cacher, plus peur de dévoiler. Ou plutôt, quand un secret révélé reste quand même un secret.
Souccot est l’incarnation de l’ère Messianique (Cf baba batra 75a, Avoda zara 3, Hafatara de Souccot etc).
C’est pour cela qu’à Souccot précisément l’eau s’ajoutait au vin. Souccot a vocation à nous transporter dans cet idéal. Une parenthèse dans l’année où on met de l’eau dans son vin, où on mélange l’ombre et le soleil (cf lois de la soucca), où on compose avec toutes les notes de musiques, toutes les couleurs, tous les juifs (cf midrash sur quatre espèce), tout le monde (cf midrash sur les 70 béliers de souccot).
Comme pour dire que pour atteindre l’idéal il faut le provoquer, le créer, l’apprivoiser.
Gary Braka